Chantal Simon

Prix Delessert 2014

Inactivité physique et sédentarité : du concept socio-écologique à la preuve physiopathologique

Le projet

  • Auteur : Chantal Simon
  • Centre de recherche : Laboratoire CarMEN, CRNH Rhône-Alpes, CENS, Centre Hospitalier Lyon Sud
  • Thème : Activité physique

Chantal Simon a été récompensé en tant que Lauréat à la JABD 2014

Descriptif

Résumé

Le comité scientifique a décerné le prix Benjamin Delessert 2014 à Chantal Simon pour son texte:
 
 » Inactivité physique et sédentarité : du concept socio-écologique à la preuve physiopathologique  »
 
Ecrit par : Chantal Simon

Une meilleure compréhension de nombreux problèmes de santé modernes émergera lorsque nous prendrons en compte le fait que la plus grande part de l’évolution humaine a eu lieu alors que nos ancêtres étaient des chasseurs-cueilleurs »
 
La majeure partie de la biologie humaine et des comportements humains a été sélectionnée avec l’apparition de Homo sapiens sapiens, il y a environ 45000 ans, à une époque où l’activité physique, seul moyen d’accéder à la nourriture à travers la chasse et la cueillette, faisait partie intégrante de l’existence quotidienne de nos ancêtres.
 
Au cours des siècles, puis de façon plus rapide au cours des dernières décennies, l’évolution des modes de vie, les changements sociétaux et les innovations technologiques ont entraîné une diminution majeure de l’activité physique quotidienne, qui ne représente plus aujourd’hui qu’à peine 65% de celle de l’homme de l’âge de pierre, et ont favorisé la généralisation d’un comportement de type sédentaire.
 
Il est aujourd’hui admis que l’activité physique de l’homme moderne est de ce fait en dessous du niveau pour lequel notre biologie a été programmée au cours de l’évolution et que ceci contribue à l’augmentation récente des principales maladies chroniques telles que l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires ou encore certains cancers.
 
De façon surprenante, en comparaison avec la masse de données accumulées depuis 60 ans sur les effets aigus et chroniques de l’exercice et sous-tendant les recommandations de santé publique promouvant 150 minutes par semaine d’activité physique de loisirs d’intensité modérée à intense, nous n’avons que peu de connaissances sur les conséquences en termes de santé, les déterminants, les réponses physiologiques et les signaux cellulaires associés à une diminution des activités physiques de la vie quotidiennes (AVQ), y compris d’intensité légère à modérée (station debout, déambulation, shopping, transports actifs,..), à une station assise prolongée ou à l’augmentation des occupations sédentaires (ordinateur, télévision,…).
 
De façon intéressante pourtant, dans la première étude reliant le niveau d’activité physique et le risque de mortalité cardiovasculaire, Morris et al. ont en fait montré que les activités professionnelles impliquant une station assise prolongée (conducteurs de bus, téléphonistes) avaient deux fois plus de risque de maladies cardiovasculaires que les professions qui impliquaient une station debout et une déambulation prolongée.
 
Plus récemment plusieurs études observationnelles transversales ou longitudinales sont venues conforter l’idée, qu’indépendamment de l’activité sous forme d’exercice, le temps passé assis et des taux faibles d’AVQ et d’activités non liés à l’exercice sont associés à un risque accru d’obésité, de maladies métaboliques, de maladies cardiovasculaires et de mortalité précoce accru.
 
Nous ainsi avons montré dans une cohorte de près de 9000 sujets Français et Irlandais âgés de 50 à 59 ans (étude PRIME) que le seul fait d’aller à pied ou à vélo au travail était associé, indépendamment de la pratique d’activités physiques de loisirs à la prise de poids au cours des 5 ans de suivi, ou encore que le temps passé assis était associé de façon transversale, indépendamment de la qualité de l’alimentation et de l’activité physique de loisirs, au risque de syndrome métabolique dans une population de 3000 adultes Français MONA-LISANUT.
 
En termes de santé publique, ces données prennent toute leur valeur si l’on considère que les AVQ et les activités de faible intensité sont plus faciles à promouvoir dans la population générale et chez les personnes sédentaires que l’exercice structuré, alors que les études basées sur des mesures objectives de l’activité physique montrent que les recommandations ne sont atteintes que par moins de 5% de la population.
 
Elles suggèrent clairement que pour être efficaces à long-terme, les stratégies de promotion de l’activité physique doivent cibler non seulement l’exercice et l’activité physique de loisirs mais également promouvoir les AVQ et limiter les activités sédentaires, et pour cela cibler l’individu mais aussi son environnement.
 
Basé sur une telle perspective socio-écologique, l’essai randomisé ICAPS a permis de démontrer qu’il était ainsi possible de prévenir une prise de poids excessive avec des effets qui se maintiennent plus de deux ans après l’arrêt de l’intervention d’une durée de 4 ans en modifiant les différentes facettes du comportement.
 
Nous avons de plus montré que le maintien des résultats de l’intervention à long-terme s’explique principalement par la persistance d’un effet sur les comportements sédentaires et des AVQ (notamment le transport actif domicile/école ou domicile/travail), alors l’activité physique structurée avait diminué.
 
Un des enjeux des prochaines années est de mieux comprendre les déterminants micro-environnementaux (maison, école, design urbain par exemple) des modes de vie actifs et des AVQ afin de concevoir des interventions ciblant de façon plus large la population générale. Nous avons ainsi montré que le seul fait d’avoir une télévision dans la chambre était lié au risque d’obésité chez l’enfant.
 
C’est de façon plus large l’un des objectifs du projet ACTICITES soutenu par l’INCA auquel nous participons avec des chercheurs d’horizons divers (géographes, médecins, spécialistes de l’activité physique, écophysiologistes, sociologues). Une autre problématique a trait aux mécanismes moléculaires, physiologiques et cliniques sous-tendant les effets du temps passé assis et des AVQ de faible intensité telle que la déambulation.
 
En théorie ces effets peuvent être expliqués par le fait que les AVQ représentent une très grande partie du temps éveillé et que, bien que d’intensité faible, elles contribuent à la majeure partie de notre dépense énergétique liée à l’activité physique (plus de 90%) alors que l’exercice ne représente en moyenne que 3% du temps passé éveillé.
 
D’un autre côté différentes études suggèrent que des contractions musculaires répétées, même de très courte durée, sont nécessaires pour contrecarrer les effets négatifs rapides de la position assise ou couchée sur différentes voies métaboliques. Par voie de conséquence, les effets favorables des AVQ et de la déambulation pourraient être en partie indépendants de ses effets directs sur la dépense énergétique.

A l’appui de cette hypothèse nous avons montré que les effets d’un alitement prolongé, comme modèle d’inactivité extrême, n’était pas contrecarré par la réalisation d’un exercice structuré. A l’inverse Dunstan et al ont montré que le fractionnement de la station assise (par des épisodes de déambulation de 2 minutes toutes les 20 minutes) supprimait l’effet délétère de celle-ci sur la tolérance glucosée.
 
Différents travaux sont menés dans notre laboratoire, en collaboration avec S.Blanc (IPHC Strasbourg), chez l’homme en conditions de vie libre ou lors d’études d’alitement prolongé, et chez l’animal (rat suspendu; ours hibernant) pour identifier les mécanismes expliquant les effets délétères de la sédentarité sur le métabolisme et tester les types/protocoles d’activité physique ou autres contre-mesures les plus efficaces.
 
Alors que les recommandations actuelles se focalisent sur la nécessité d’atteindre 30 minutes par jour ou 150 minutes par semaine d’activités physiques d’intensité modérée à intense, un nouveau paradigme de sédentarité souligne l’impact potentiel sur la santé de toutes les facettes du comportement de mouvement y compris le temps passé assis, les AVQ ou la simple déambulation au cours de la journée.
 
Même si les mécanismes sous-tendant les effets de ces comportements sur la santé et leurs déterminants restent largement à explorer dans de futures études, ces données ont des conséquences potentielles importantes dans le domaine de la santé publique, de la clinique et ouvrent de nouvelles voies thérapeutiques.
 
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