Karine Clément
Prix Delessert 2017
L'obésité : une maladie d'une grande complexité
Le projet
- Auteur : Karine Clément
- Centre de recherche : Institut Cardio-métabolisme et Nutrition (ICAN) - Inserm/UPMC UMRS 1166 équipe « NutriOmique » Service de Nutrition, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris, France
- Thème : Obésité
Karine Clément a été récompensé en tant que Lauréat à la JABD 2017
Descriptif
Résumé
Le comité scientifique a décerné le prix Benjamin Delessert 2020 à Karine Clément pour son texte:
» L’obésité : une maladie d’une grande complexité »
Ecrit par : Karine Clément
Si des déterminants génétiques peuvent favoriser le développement de l’obésité en réponse aux multiples changements des modes de vie (alimentation, sédentarité, aspects socio-économiques), des phénomènes d’adaptations moléculaires et structurales des tissus de l’organisme ainsi que des perturbations de la communication entre ces tissus contribuent à la chronicisation, au maintien et à la résistance au traitement de cette maladie hétérogène et très complexe.
L’obésité d’une personne n’est certainement pas celle d’une autre et il devient urgent de comprendre cette maladie dans toutes ses dimensions culturelles, environnementales et biologiques afin de mieux prendre en charge les patients.
L’équipe de Karine Clément, appelée « NutriOmique » : « Nutrition et Obésité : approche systémique » travaille depuis plusieurs années à comprendre les mécanismes d’induction rapide de la prise de poids, ainsi que les anomalies d’adaptation tissulaires aux variations du statut nutritionnel et les altérations des dialogues inter-organes.
Un enjeu futur de ces approches est l’identification des marqueurs et les prédicteurs moléculaires des situations cliniques et biologiques associées à l’obésité dans un esprit de mieux comprendre cette maladie complexe, mieux caractériser les patients pour les traiter de façon plus précise.
Dans ce contexte, NutriOmique a plus récemment analysé la contribution du microbiote intestinal aux phénotypes associés à l’obésité, et notamment dans la contribution au dialogue intestin-tissu adipeux.
Nous résumons dans le cadre de ce prix de l’institut Benjamin Delessert les faits les plus marquants (non exhaustifs) de cette activité de recherche fortement couplée aux problématiques observées chez les patients.
1 – Importance du génome : certainement dans l’obésité sévère et précoce, premières étapes vers la médecine de précision
Les progrès de la génétique dans le domaine de l’obésité ont permis de découvrir les gènes impliqués dans le développement de certaines formes d’obésités précoces et sévères associées à une impulsivité alimentaire sévère.
C’est à la fin des années 90 (période de la découverte de la leptine !), que nous avons identifié les premières mutations du récepteur de la leptine (LEPR) et du récepteur MC4R (Nature 1998, Nature Genetics 1998, JCI, 2000), avec des collègues généticiens.
Au cours des dernières années, nous avons poursuivi la recherche de nouvelles mutations dans les gènes de la voie leptine-mélanocortine et décrit de nouvelles mutations dans le gène POMC (JCEM, 2008) et dans MC3R (Am J Hum Genet, 2011). De nouvelles mutations du gène du récepteur de la leptine, LEPR, ont aussi été identifiées récemment avec une fréquence élevée sur l’Ile de la Réunion (JCEM 2015).
Dans le cadre d’un partenariat, nous avons décrit le rôle d’ agonistes de MC4R qui étaient capables d’activer hMC4R muté possédant des réponses fonctionnelles aux agonistes endogènes affaiblies (Endocrinology, 2010). Ces résultats ont stimulé l’intérêt pour le développement de médicaments agissant dans les déficits de la voie mélanocortine.
Ainsi avec une équipe Allemande, nous avons montré récemment l’efficacité de nouveaux agonistes MC4R, dans la réduction pondérale et l’amélioration du contrôle de la prise alimentaire chez les patients avec un déficit de la POMC (Kuhnen et Clément, NEJM, 2016).
Ces formes d’obésité sont rares mais ces molécules stimulant la voie mélanocortine vont être testées de façon plus étendue chez des patients ayant des altérations de cette voie. Ces travaux ont bénéficié à plusieurs reprises d’un soutien de l’Institut Benjamin Delessert.
2 – Vers la pathologie d’organe : le tissu adipeux malade de l’obésité (fibrose et inflammation)
En début des années 2000, nous avons élargi notre approche vers une dimension plus physiopathologique afin de mieux comprendre les phénomènes de chronicisation de l’obésité et la résistance à la perte de poids chez les patients obèses.
Avec l’équipe NutriOmique », nous avons décrit pour la première fois chez l’homme l’importance de la fibrose du tissu adipeux des sujets obèses (Genome Biology, 2009). Cette observation a été faite grâce à l’analyse de l’expression des gènes du tissu adipeux couplée aux examens histologiques. La fibrose s’accumule dans le tissu adipeux des sujets obèses comme dans les organes touchés par l’inflammation de bas-grade dans d’autres maladies chroniques (maladies du foie, du poumon, des reins).
Nous avons progressé dans la caractérisation des dépôts fibrotiques des tissus adipeux qui contiennent différents types de collagènes (I, III, IV, VI) et qui accumulent aussi différents types cellulaires, notamment des macrophages, des lymphocytes, des mastocytes et des progéniteurs du tissu adipeux. Ces cellules inflammatoires s’accumulent non seulement dans les zones de fibrose mais également dans le parenchyme du tissu adipeux dont elles perturbent profondément la biologie et les sécrétions hormonales.
Nous avons pu en décrypter certaines origines moléculaires et cellulaires. Dans une étude combinant approches chez l’homme et le rongeur nous avons montré les relations entre le facteur de transcription IRF5, les dépôts de collagène, le métabolisme et l’inflammation (Nature Medicine, 2015). Plus récemment, nous avons caractérisé plus précisément les cellules progénitrices à l’origine de l’installation de la fibrose, et leur relation avec les complications métaboliques de l’obésité (publication en cours).
Nous avons exploré les conséquences de l’accumulation de collagène sur la biologie des adipocytes montrant l’importance de contraintes mécaniques (J Pathol 2014) sur les perturbations biologiques adipocytaires. Cette fibrose du tissu adipeux a, nous le pensons, un impact sur les organes adjacents.
Dans un travail dans lequel des morceaux d’oreillette cardiaque ont été cultivés en présence de milieux obtenus à partir de sécrétion de tissus adipeux épicardiques, nous avons observé que ce tissu adipeux ectopique produit de l’activine A (membre de la famille des TGF) participant à la génération d’un processus fibrotique dans ce tissu cardiaque.
Or la fibrose est un facteur majeur impliqué dans la fibrillation auriculaire, une pathologie fréquente du cœur vieillissant (Eur. Heart J., 2014). Plusieurs de ces anomalies (accumulation de fibrose, accumulation de cellules inflammatoires) sont associées à des complications fréquentes de l’obésité ; diabète de type 2, complications cardiovasculaires, maladies hépatiques.
Constamment préoccupés par le retour aux patients, nous avons montré que les changements fibrotiques du tissu adipeux étaient associés à des modifications de rigidité tissulaire (JCEM 2015), grâce au développement d’un outil permettant de quantifier la rigidité tissulaire, en cours de développement et dont il conviendra d’en démontrer l’utilité clinique.
3 – Ne pas négliger l’intestin : un organe hébergeant notre « autre génome » : le microbiome
Curieusement durant des années dans l’obésité humaine, le rôle de l’intestin a été négligé. Pourtant, il a une position clé dans les dialogues permanents microbiote-biologie de l’hôte au travers d’interactions métaboliques, hormonales et immunitaires.
Au sein de l’IHU ICAN, nous avons mené un travail multi-équipes (en lien avec les équipes d’Armelle Leturque et Edith Brot-Laroche) et montré pour la première fois que l’obésité humaine est associée à une augmentation de la surface d’absorption de l’intestin (dans la partie absorptive jéjunale), avec une accumulation de cellules inflammatoires dans la lamina propria et la colonisation de l’épithélium du jéjunum par des lymphocytes T (CD8αβ) qui n’affectent pas l’intégrité tissulaire, mais dont les secrétions sont capables d’inhiber la réponse à l’insuline des entérocytes (Cell Metab, 2015). Les anomalies inflammatoires observées dans le tissu adipeux et d’autres organes s’étendent donc à l’intestin !
Or l’intestin héberge ce monde d’une complexité insoupçonnée : le microbiote intestinal. Un autre génome en prise directe cette fois avec notre environnement.
Chez les animaux et les humains, le microbiote intestinal pourrait être le lien entre les changements de l’environnement, le métabolisme et l’inflammation tissulaire. La chirurgie bariatrique est un modèle intéressant pour étudier ces aspects et les améliorations cliniques observées après cette chirurgie.
Nous avons décrit un « switch » dans les composants du microbiote intestinal après chirurgie bariatrique associé à des changements dans l’inflammation de bas grade et les paramètres métaboliques (Diabetes, 2010) ; environ la moitié de ces associations dépendait de la quantité de calories consommées.
Grâce à une collaboration, avec nos collègues de l’INRA, nous étudions la relation temporelle entre l’apport alimentaire, le microbiote intestinal (évalué par une approche de métagénomique quantitative) et les phénotypes métaboliques et inflammatoires chez des personnes moins obèses.
Nous avons montré que les personnes avec une richesse microbienne réduite présentaient des altérations métaboliques et une inflammation de bas grade plus prononcés, et des risques de co-morbidités liés à l’obésité. Ces individus ont une composition d’espèces microbiennes du tube digestif modifiée et peuvent être identifiés avec précision grâce à une combinaison de quelques espèces bactériennes (Nature, 2013).
Certaines bactéries spécifiques comme A. muciniphila pourraient être importantes. Les sujets ayant un plus fort taux d’A. muciniphila avaient un meilleur profil métabolique ; réduction de la glycémie, de l’insuline, d’index d’insulinorésistance et des adipocytes plus petits, et répondaient mieux à la perte de poids. Les adipocytes de petite taille sont en général moins pro-inflammatoires et ont un meilleur métabolisme (GUT, 2015).
4 – Modéliser l’écosystème : une étape vers la nutrition réellement individualisée?
Devant la complexité de l’écosystème bactérien intestinal caractérisé par des interactions microbe-microbe, microbes-environnement et microbes-biologie de l’hôte, plusieurs équipes de mathématiciens et de bioinformatiens essaient de modéliser ces échanges bactériens et les interactions métaboliques chez l’homme.
Ces approches paraissent prometteuses du moins sur le principe. En effet, le développement de tels modèles mathématiques permet de mieux comprendre chez une personne donnée, les interactions entre écosystème bactérien propre (son déséquilibre potentiel), l’alimentation habituelle (si difficile à mesurer par les outils de recueil habituels), et d’en déduire l’impact potentiel sur la santé métabolique.
Ainsi à partir de la connaissance de l’équipement individuel en bactéries (par le séquençage métagénomique), on peut déduire par ces modèles, quels sont les métabolites produits en excès ou au contraire déficients puis proposer des interventions diététiques adaptées permettant de corriger un déséquilibre potentiel.
Dans le cadre du projet Metacardis que je coordonne, nous avons travaillé sur un modèle appelé CASINO (« Community ans Systems-level Interactive Optimization ») qui a été appliqué pour analyser les échanges « en réel » chez des personnes à microbiote enrichi ou appauvri de l’étude MicroObese.
Comme évoqué plus haut, les sujets à microbiote appauvri (« LGC ») ou enrichi (« HGC ») ont aussi des équipements différents en groupes bactériens. CASINO a ainsi pu prédire les différences de production entre AGCC et acides aminés (comme la phénylalanine et les acides aminés branchés) entre LGC et HGC avant et après l’intervention diététique ; ces différences étant également dépendantes des apports alimentaires.
Chez ces patients, une approche métabolomique avec dosage des métabolites dans les selles et dans le sang comme les AGCC et 15 différents acides aminés ont permis de valider la pertinence du modèle théorique et les changements de flux entre les sujets HGC et LGC avant et après l’intervention diététique. Ainsi les sujets microbiote-déficient (« LGC ») avaient une élévation plus importante des certains acides aminés, comme la phénylalanine et de certains acides aminés branchés (valine, leucine, isoleucine).
Or l’élévation sanguine de certains de ces acides aminés a été reliée à l’insulino-résistance (comme les acides aminés branchés) et également identifié pour un facteur risque de diabète de type 2 (la phénylalanine par exemple). Ces informations renforcent le travail précédent où nous avions montré que les sujets LGC avaient un profil métabolite défavorable.
Surtout l’intervention diététique chez ces sujets « LGC », entrainant un enrichissement du microbiote, a permis d’observer une diminution significative de ces métabolites associés à l’insulino-résistance. Le modèle CASINO a permis de révéler quels groupes bactériens spécifiques contribuaient de manière significative à la production différente de ces métabolites entre les sujets HGC et LGC.
Et surtout à partir des comparaisons entre sujets « LGC » et « HGC » au cours de la variation de poids, le modèle a proposé quels changements alimentaires sur différentes catégories d’aliments les sujets « LGC » devaient opérer pour améliorer leur métabolisme. IL a fait l’objet d’un article dans Cell metab en 2015
Remerciements : L’auteure remercie très sincèrement le jury de l’Institut Benjamin Delessert pour ce prix. Elle remercie également les organismes financeurs des travaux décrits ci-dessus (l’Agence Nationale de la Recherche, le programme des investissements d’Avenir, les Programmes hospitaliers de recherche clinique, l’Union Européenne (en particulier le programme Metacardis) ainsi que plusieurs fondations comme la Fondation Pour la Recherche Médicale ou la Fondation de France, les sociétés savantes SFN et SFD).
Ce prix est un prix d’équipe que je dédie aux collaborateurs actuels et passés aux compétences multiples (cliniques médicales et chirurgicales, biologiques, experts en génétique, métabolisme, nutrition et immunologie, microbiologie ainsi qu’aux experts de l’analyse des données complexes) ; aux jeunes (étudiants, thésard, post-doctorant) et moins jeunes.
Sans ce travail permanent et toujours délicat de décloisonnement à l’interface entre plusieurs disciplines que nous menons depuis de nombreuses années, nous n’aurions pas pu progresser autant, apprendre autant… Les collaborateurs de plusieurs régions de France et internationaux ont également apporté leur contribution et leur vision. Ces collègues se reconnaitront !
Je remercie les patients et les associations de patients qui ont contribué à ces études et répondu présent.
Enfin j’ai découvert la médecine de l’obésité qui était une discipline encore jeune au début des années 90. Le premier contact et surtout premier « choc » avec cette maladie complexe a été la rencontre avec deux grands médecins de la médecine de l’obésité les Prs Bernard Guy-Grand et Arnaud Basdevant et de leurs patients au cours d’un stage d’interne à l’Hôtel-Dieu, où j’ai pu apprécier la dimension humaine et la complexité de cette maladie qui ne se résume pas à une vision simpliste d’un problème esthétique ou du « trop manger ». Je leur dois beaucoup.
Publication (s) utiles
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